lundi 20 juillet 2015



Les pasteurs des Églises historiques
de l'Europe latine

Conférence donnée à la Pastorale nationale de l'APF
le 23 mars 2015 à Sète (Hérault) 
par Evert Veldhuizen
Pasteur réformé, docteur en Histoire des religions,
président de l'Association des Pasteurs de France


Introduction

       Ces propos portent sur les Églises historiques, et en particulier leurs pasteurs, en Italie, en France, en Espagne et au Portugal. De la même famille linguistique latine, ils partagent un patrimoine protestant social et culturel spécifique, forgé dans leurs sociétés imprégnées du catholicisme romain de l'Europe latine. Nous avons également recueilli des éléments auprès des évangéliques, mais cet exposé se concentre sur les historiques : les vaudois, les réformés et les presbytériens de ces pays.   

       C'est une occasion pour rendre compte du fruit de quelques voyages d'études et de travail. Des données qualitatives ont été collectées par des entretiens enregistrés et retranscrits. Par la suite, quelques articles ont été publiés sur ces pays et sur la situation des pasteurs en France. 

       Nous procéderons par une brève présentation des Églises et des pasteurs. Puis, nous relèverons quelques spécificités communes, distinctes et complémentaires.     


Les vaudois

       Une bonne éducation enseigne la priorité que nous devons aux aînés. Les aînés de nos propos sont les vaudois. Cela nous ramène huit siècles et demi en arrière. Le marchand lyonnais Valdo se convertit dans les années 1170 à une vie religieuse fervente. S'estimant appelé à pratiquer la pauvreté, il abandonne sa vie bourgeoise pour prêcher l’Évangile. Son succès populaire pose problème. Prédicateur itinérant, il échappe au contrôle épiscopal. Valdo tente de prouver son orthodoxie aux pères du Concile de Latran en 1179. Mais sans succès. L’archevêque de Lyon lui interdit de prêcher. Considérant qu'il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes, Valdo continue à annoncer l’Évangile. Excommuniés, lui et ses disciples sont désormais considérés comme un mouvement hérétique. Malgré des épreuves, le mouvement perdure jusqu'à la Réforme, notamment dans les vallées piémontaises. Suite à l'adhésion à la Réforme en 1532, le besoin se fait sentir de pasteurs mieux formés. L’Église vaudoise souffre alors d'une pénurie chronique de pasteurs. La formation à Genève introduit une nouvelle approche du ministère pastoral. Les vaudois traversent d'autres périodes de répression. Face à la papauté et à l'Italie espagnole (sic), écrit l'historien Giorgio TOURN, ils formeront la tête de pont de l'Europe protestante au Sud des Alpes, le bastion le plus avancé sur le front de la Contre-Réforme... Le temps du Risorgimento italiano au 19ème siècle inaugure une liberté religieuse, qui n'est officialisée qu'en 1984.     

       L'Église Vaudoise et Méthodiste compte environ 150 pasteurs dont une centaine en activité. La région historique de leur implantation, les vallées vaudoises dans le Piémont, abrite une forte concentration de pasteurs. Ceux des autres régions vivent à différents degrés une réalité de diaspora. Tous les pasteurs inscrits composent le Corps pastoral, instance officielle de l’Église. Il lui revient d'examiner les candidatures au ministère pastoral et d'approuver leur inscription au rôle. Il donne son avis au synode dans les domaines théologique et éthique. Le Corps pastoral se réunit avant le synode national. Il existe également des pastorales régionales et locales. Le pasteur occupe un poste pour une période de sept ans, renouvelable une fois. La rémunération des pasteurs ne suffit pas pour subvenir aux besoins de leur famille. C'est pourquoi leurs épouses ont un emploi pour compléter le revenu familial. Ceci complique les mutations. Quand un pasteur est appelé à un poste dans une autre région, le problème de l'emploi de l'épouse représente un défi considérable. Lors de mon premier voyage d'études en 2003, les mutations préoccupaient les responsables de l’Église. A présent, c'est l'immigration qui les inquiète le plus. Les vaudois sont habités du souci des pauvres. L'immigration massive d'Africains subsahariens sur le sol italien concerne les pasteurs des grandes villes, comme à Gênes. L'actuelle perméabilité urbaine et cosmopolite contraste avec l'isolement subi dans des vallées rurales du Piémont. Le ministère du pasteur vaudois ne se limite plus à une Église enclavée. Poussé par de nouveaux défis, il opère davantage dans le monde qui frappe à sa porte.         


Les huguenots

       Quittant l'Italie, nous retraversons les Alpes. Dans la France des années 1520, les écrits de Luther propagent la Réforme. Puis Jean Calvin construit le Mouvement à la façon réformée, et l'organisation presbytérienne-synodale est établie en 1559. Le roi Henri IV instaure la paix après les guerres de religion. Mais les droits des protestants sont progressivement réduits pendant le 17ème siècle. De nombreux huguenots quittent le pays et le Roi Soleil révoque leurs droits. Ceux qui sont restés au pays traversent diverses formes de persécutions auxquelles le Concordat met définitivement fin. Les réformés s'organisent au 19ème siècle. Ils vivent alors un mouvement ascendant. Mais les conflits mondiaux du 20ème siècle sapent les effectifs. L’œcuménisme redéfinit leur identité. Ils sont bousculés par la décolonisation et la révolution culturelle des années soixante. La désaffectation générale de la pratique religieuse entamée dans les années 50 se poursuit inéluctablement. Les pasteurs assistent à une recomposition du monde réformé.          

       Justement, rappelons comment fut composé le modèle réformé du ministère pastoral. Depuis la Réforme, les luthériens et réformés accordent un statut de docteur à leurs pasteurs. Ils doivent se préparer au ministère par des études universitaires. Les facultés et académies de Genève, Lausanne, Montauban, Sedan, Saumur, Paris, Montpellier et Strasbourg  assurent des formations selon les normes classiques de l'enseignement supérieur. Pendant les temps de persécutions, les Facultés protestantes sont interdites. Ces douloureuses circonstances provoquent d'inévitables exceptions à la règle. Celles-ci ne sont pas concluantes pour la durée, malgré le courage et le dévouement des prédicateurs qui font admirablement face à des situations périlleuses.

       L'exigence de la formation supérieure est réitérée dès que la situation politique la permet. Les pasteurs en tant que docteurs prêchent alors selon les écoles de pensée orthodoxe ou libérale. Leurs collègues de sensibilité piétiste touchés par le Réveil développent l'image du berger de troupeau. Les révolutions industrielles du 19ème siècle génèrent la figure du pasteur social. Les guerres mondiales déciment le corps pastoral, mais aussi, elles sortent les pasteurs du cocon ecclésial. Les événements des années 60 affectent profondément les jeunes pasteurs et ne laissent pas indemnes leurs aînés. La révolution des technologies médiatiques et la révolution numérique font éclater les réseaux confessionnels qui se perméabilisent. Elles accélèrent le processus de la sécularisation de la société française. Phénomène nouveau, le ministère pastoral s'ouvre aux femmes.

       Á présent, la France compte environ 770 pasteurs luthériens et réformés. Pour leurs concitoyens, ils symboliseraient le protestantisme. En tout cas,  ils font tous partie de la communauté virtuelle post-moderne d'internet. Le réseau pastoral lui-même est plus cosmopolite qu'avant. Et dans les campagnes où perduraient encore des « poches » protestantes, comme dans les Cévennes, l'Alsace rurale et le Poitou, les communautés paroissiales du pasteur luthéro-réformé vieillissent doucement...       


Les protestants d'Espagne

       Traversons maintenant les Pyrénées. En Espagne, l'implantation du protestantisme ne peut commencer qu'au milieu du 19ème siècle. L'Inquisition et l'hostilité de l’Église catholique tridentine avaient réussi à le tenir à l'écart jusqu'alors. L'émergence du protestantisme réformé coïncide avec celle des Églises évangéliques congrégationalistes. L'approche théologique et morale des évangéliques est plus ou moins fondamentaliste. Dans ce contexte, les réformés se distinguent doublement. Ils sont protestants dans une société imprégnée du catholicisme. Et historiques au sein d'un protestantisme revivaliste. Par ailleurs, de ce milieu vient une partie des pasteurs et des membres des deux Églises historiques, l'Église Évangélique Espagnole (IEE), de régime presbytérien-synodal, et l'Église Espagnole Réformée Épiscopalienne (IERA) membre de la Communion anglicane. Elles gèrent conjointement le séminaire théologique, installé à El Escorial. Le protestantisme a été interdit en Espagne pendant plus de trois siècles. Après son implantation tardive, il a traversé des temps difficiles, dont la dictature franquiste. Depuis une quarantaine d'années, il jouit de la pleine liberté du culte, mais il se trouve désormais confronté à l'immense défi de la sécularisation.     

       L’Église Évangélique Espagnole compte environ 40 lieux de culte et 20 pasteurs. La vingtaine de paroisses de l’Église Espagnole Réformée Épiscopale sont desservies par autant de pasteurs. Les pasteurs espagnols sont épaulés par des missionnaires anglais, allemand, chilien, équatorien, états-unien... Les problèmes pratiques et sentimentaux inhérents aux mutations mènent les pasteurs autochtones à rester longtemps à leur poste. Cela contraste avec la mobilité des pasteurs étrangers. Avec une cinquantaine de familles en moyenne et peu de cotisants réguliers, les paroisses ne peuvent pas rémunérer les pasteurs à plein temps. Puisqu'elles doivent verser les retraites aux anciens pasteurs, les Églises n'ont pas, ou très peu de fonds à investir dans de nouvelles vocations. C'est pourquoi la plupart des pasteurs en activité sont salariés par ailleurs, soit par une fonction administrative dans leur Église, soit par un emploi à côté. Les attentes des paroissiens sont encore conditionnées par la culture catholique ambiante. On perçoit le pasteur, à l'instar du prêtre, comme un clerc distinct du peuple. La forte sécularisation de la société espagnole post-franquiste a pourtant changé la donne. La vieille génération de pasteurs forgée par la résistance à l'hostilité de l'ancien régime a maintenant disparu. La génération actuelle de pasteurs est hétéroclite à cause de la dispersion géographique, des parcours différents et de la mentalité individualiste. Ils fonctionnent de façon éparpillée et solitaire. Vu les circonstances, c'est compréhensible.          


Les Églises œcuméniques portugaises

       Nous poursuivons notre tour d'horizon jusqu'au bout du Continent. Au Portugal, le protestantisme a été introduit au milieu du 19ème siècle. Un missionnaire écossais s'installe dans les années 1840 sur l'île de Madère. De son action naît l’Église presbytérienne qui s'implante par la suite dans le Portugal continental. Le méthodisme naît parmi les viticulteurs et commerçants anglais installés dans la Vallée du Douro. La seule Église protestante historique d'origine autochtone a été créée pendant les années 1880 par un groupe de prêtres catholiques qui étaient en désaccord avec Vatican-I. L’Église lusitanienne est de régime épiscopalien. Elle est accueillie dans les années 1980 au sein de la communion anglicane. L'émergence des ces trois Églises coïncide avec l'arrivée des d'évangéliques congrégationalistes au Portugal. Leur croissance dépasse rapidement celle des historiques. Les dernières composent désormais une minorité au sein du protestantisme, lui-même minoritaire au Portugal. Les seules prêtes à dialoguer avec l’Église catholique, ces trois Églises sont qualifiées d'« œcuméniques ». Ensemble, elles totalisent une cinquantaine de paroisses réparties sur le territoire continental et les îles (Madère, Açores). Les presbytériens et les méthodistes se sont fédérés. L’Église lusitanienne occupe une position entre protestantisme et anglo-catholicisme à la façon portugaise.    

       L’Église presbytérienne compte une dizaine de pasteurs, les méthodistes autant, plus quelques diacres. Ils sont mutuellement reconnus et interchangeables. Une quinzaine de pasteurs et diacres desservent l’Église lusitanienne. Les trois Églises totalisaient six femmes pasteurs. Leur présence est bien vécue par elles-mêmes et par leurs paroissiens. La proportion de pasteurs d'origine étrangère est d'environ 4 sur 10. Quelques pasteurs exercent dans des paroisses ethniques, angolaise par exemple. Les quelque 35 pasteurs desservent une cinquantaine de paroisses au Portugal et sur les îles. Un tiers exerce à plein temps, les autres ont un emploi à côté pour compléter leur revenu. Les Églises reçoivent de l'aide de l'extérieur, mais elles ne peuvent pas rémunérer leurs pasteurs de façon suffisante. Les presbytériens et méthodistes suivent leurs études à l'étranger et les lusitaniens dans une Université catholique. Installés en paroisse, ils restent longtemps sur leur poste, pendant des dizaines d'années. En effet, les mutations sont difficiles à cause des contraintes géographiques et sociales. Le statut du pasteur dans la paroisse est relativement clérical sous l'influence du catholicisme conservateur ambiant. Mais les pasteurs ne se sentent pas pour autant respectés dans la société. Ils fonctionnent de façon congrégationaliste à cause de leur isolement géographique et de la diversité des sensibilités. Mais leur  esprit communautaire est éveillé par la solitude et les impératifs économiques. La solidarité opère entre les collègues portugais, mais les circonstances limitent leurs possibilités.
   

Quelques spécificités communes, distinctes et complémentaires.

       Ces Églises ont en commun leur situation minoritaire dans des sociétés profondément imprégnées de catholicisme tridentin. Elles ont en commun aussi leur façon classique d'être chrétien. Ce style propre à la Réforme du 16ème siècle participe de l'élan de la Renaissance et de l'avènement de l'ère moderne. Il se distingue des fastes baroques et des drames sentimentaux romantiques. En y adhérant en 1532, les vaudois s'émancipent de leur réclusion médiévale. Les protestants ibériques s'y reconnaissent dès leur origine au milieu du 19ème siècle.

       Partageant ce patrimoine spécifique commun, les vaudois, huguenots et protestants ibériques font aujourd'hui face, chacun de leur côté, aux mêmes défis.

       Précisons encore davantage les éléments du patrimoine commun. Par exemple, l'essence théologique et culturelle de ce patrimoine historique est comme l'acide désoxyribonucléique, ou l'ADN des huguenots. Cet ADN a été transfusé aux vaudois et transmis aux protestants ibériques. Mais ces trois entités se distinguent par les époques de leurs origines respectives. Époques distancées dans l'histoire. Il suffit de les évoquer pour s'en rendre compte : l'ère médiévale pour les vaudois, l'ère moderne pour les huguenots, l'ère romantique pour les ibériques. Les caractéristiques contextuelles distinctes de leurs origines les ont formatés chacun différemment. Par leurs gènes, les uns sont probablement mieux équipés que les autres pour relever certains défis actuels.   


De l'isolement à l’accueil

       Les protestants historiques des pays de l'Europe latine partagent un patrimoine spirituel, social et culturel qui est marqué par l'isolement. Les vaudois furent confinés aux vallées piémontaises pendant des siècles dans une situation de ghetto. Les huguenots ont dû se replier dans les reliefs cévenols et dans les forêts pour les assemblées du désert. Et les protestants ibériques ont été tenus dans l'isolement pendant toute leur histoire par leur situation minoritaire et géographique.

       Par leurs expériences d'isolement, ils ont appris la valeur éthique des efforts en faveur de l'intégration d'expatriés. Désormais sortis eux-mêmes de leur isolement, ils sont sensibles au problème de l'immigration massive en provenance des pays du Sud. Des immigrants frappent à leurs portes. Par leur situation géographique au seuil de l'Afrique, les vaudois se trouvent en première ligne. Leurs façons à eux de témoigner et d'agir dans le monde peuvent éclairer le chemin des autres. Comme les français, qui ont du mal à intégrer les immigrés nord-africains et subsahariens. De leur côté, les portugais sont confrontés à l'immigration en provenance des pays lusophones. Et les espagnols se trouvent également de plus en plus concernés par l'immigration.    


De l'éclatement à la composition du neuf

       Les protestants historiques de ces pays partagent aussi un patrimoine d'éclatement. Ce thème a été étudié récemment en France. Le déclin sociologique des protestantismes historiques et la croissance dynamique des évangéliques et pentecôtistes ont faire voler en éclats l'ordre ancien avec ses rapports de force. Les historiques ne composent plus la majorité parmi les protestants français engagés. Toutes proportions gardées, les rapports de force se rapprochent lentement de celles des italiens et ibériques.

       Mais l'éclatement du protestantisme historique n'annonce pas pour autant sa disparition. Au contraire, ce peut être une opportunité pour lui de composer du classique nouveau pour le 21ème siècle. Le dynamique du semper reformanda possède des potentialités créatrices. Les huguenots post-modernes sont appelés à résister comme leurs ancêtres, mais à de nouveaux défis. Quant à la sécularisation, ne serait-elle pas la nouvelle religion dominante ? Elle prône un individualisme romantique et ne se montre pas très attirée par la foi pensée. Y résistant, comme toujours, par leur  façon classique d'être chrétien, les huguenots pourraient aider leurs coreligionnaires ibériques à tenir tête eux aussi au dynamisme romantique des évangéliques et pentecôtistes.      


De l'oppression à la libération

       Leur patrimoine collectif est marqué également par l'oppression. Par exemple, dans l'Espagne catholique tridentine, les protestants historiques n'eurent pas droit de cité pendant trois siècles. La fameuse Inquisition tuait tout embryon dans l’œuf. Le régime franquiste ne leur fut pas favorable. Les portugais ont subi un sort semblable, comme les vaudois et les huguenots à certaines époques de leur histoire.

       L'oppression religieuse a été remplacée par la sécularisation. En Espagne, les années obscures de l'Inquisition et de la dictature sont passées. La sécularisation dresse de nouveaux obstacles. Mais elle offre aussi des opportunités. La liberté de ne pas croire selon la tradition dominante est une opportunité inédite pour les protestants historiques. Leur situation particulière peut être un laboratoire de recherches d'une spiritualité de raison. Si cette hypothèse se vérifie, ils vivront à nouveau avec les vaudois, huguenots et lusophones la réalité du post tenebras lux.       


De la marginalisation à l'ouverture au monde

       Et le patrimoine commun des protestants historiques est aussi marqué par la marginalisation. Par exemple, la marginalité des portugais par leur statut de minorité a été augmentée par la localisation géographique de leur pays à la limite extrême du Continent. Et les espagnols se trouvent marginalisés dans l'ensemble hétéroclite des confessions et religions non-catholiques. Les vaudois furent marginalisés pendant des siècles dans leur ghetto piémontais. De même, les huguenots ont été forcés de tenir leurs assemblées loin de la cité - ou de prendre le chemin de l'exil.  

       Aujourd'hui, le développement des technologies de communication déplace les limites de l'isolement et transforme la vie sociale. Par exemple, aux protestants historiques portugais se rouvrent désormais des horizons inattendus au monde, à l'instar du temps des Grandes découvertes. En un sens situés au cœur de l'Atlantique, ils se trouvent à un carrefour, où se croisent les dynamismes culturels et spirituels africains, sud-américains et européens. Les ouvertures obtenues pendant les Grandes explorations par ce pays qui était cependant tellement isolé dans un coin reculé du Continent sont un paradoxe qui peut être appelé à devenir un précédent...


Conclusion

       Avant de conclure, retraçons en quelques lignes le chemin parcouru. C'est un parcours d'ordre chronologique. Les aînés, les vaudois se sont joints au Mouvement de la Réforme après plus de trois siècles et demi d'existence. Les huguenots se situent au cœur de cette chronologie. Quant aux protestants historiques espagnols et portugais, ils sont nés avec leurs frères jumeaux évangéliques. Ils ont pourtant opté pour le mode historique plus de trois siècles et demi après la Réforme. De ce tableau se dégage une symétrie chronologique qui s'étend sur sept siècles. Malgré cette immense étendue temporelle, ils partagent les mêmes valeurs des sola scriptura, sola fide, sola gratia, soli Deo gloria. Et leurs structures ecclésiales sont chacune de régime synodale-presbytérienne - à l'exception relative des anglicans.

       Quel est finalement leur plus petit commun dénominateur, unifiant les vaudois, les huguenots et les protestants historiques ibériques ? Nous suggérons qu'il est dans leur manière de penser la foi, de réfléchir sur le monde et de se situer dans une lignée théologique et sociale de nature rationnelle classique.      

       Chemin faisant, nous avons repéré quelques difficultés qui ont contribué à forger leur style historique. L'isolement, l'éclatement, l'oppression et la marginalisation ne sont pas les seules difficultés qu'ils ont éprouvées. Mais elles ont dans tous les cas contribué à renforcer leur attachement à la foi pensée, à la réflexion critique, à la piété de type classique. Ces difficultés ont été interprétées ici comme formatrices d'aptitudes permettant de faire face aux défis de la post-modernité. Nous avons suggéré que l'isolement peut s'avérer une formation à l’accueil des expatriés ; l'éclatement à l'invention de formes nouvelles adaptées au 21ème siècle ; l'oppression au bon usage des libertés laïques ; la marginalisation aux ouvertures planétaires. 

       En somme, nous plaidons pour l'actualisation positive du patrimoine partagé. Des épreuves subies dans le passé ont forgé des aptitudes constructives qui ont été transmises. Mis au service de l'Évangile par un engagement concret dans monde, le témoignage spécifique des protestants historiques se renouvellera naturellement, semper reformanda, et il perdurera...    

Evert Veldhuizen
mars 2015

La version intégrale de ce texte (comportant les nombreuses notes en bas de page) sera publiée ultérieurement sous PDF dans le site de l'APF. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire