Les
pasteurs des Églises historiques
de
l'Europe latine
Conférence donnée à la Pastorale nationale de l'APF
le 23 mars 2015 à Sète (Hérault)
par Evert Veldhuizen
Pasteur réformé,
docteur en Histoire des religions,
président de
l'Association des Pasteurs de France
Introduction
Ces propos
portent sur les Églises historiques, et en particulier leurs pasteurs, en
Italie, en France, en Espagne et au Portugal. De la même famille linguistique
latine, ils partagent un patrimoine protestant social et culturel spécifique, forgé dans leurs
sociétés imprégnées du catholicisme romain de l'Europe latine. Nous
avons également recueilli des éléments auprès des évangéliques, mais cet exposé
se concentre sur les historiques : les vaudois, les réformés et les
presbytériens de ces pays.
C'est une occasion pour rendre compte du fruit de quelques voyages
d'études et de travail. Des données qualitatives ont été collectées par des
entretiens enregistrés et retranscrits. Par la suite, quelques articles ont été
publiés sur ces pays et sur la situation des pasteurs en France.
Nous
procéderons par une brève présentation des Églises et des pasteurs. Puis, nous
relèverons quelques spécificités communes, distinctes et complémentaires.
Les vaudois
Une bonne
éducation enseigne la priorité que nous devons aux aînés. Les aînés de nos
propos sont les vaudois. Cela nous ramène huit siècles et demi en arrière. Le marchand lyonnais Valdo se convertit
dans les années 1170 à une vie religieuse fervente. S'estimant appelé à
pratiquer la pauvreté, il abandonne sa vie bourgeoise pour prêcher l’Évangile.
Son succès populaire pose problème. Prédicateur itinérant, il échappe au
contrôle épiscopal. Valdo tente de prouver son orthodoxie aux pères du Concile
de Latran en 1179. Mais sans succès. L’archevêque de Lyon lui interdit de
prêcher. Considérant qu'il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes, Valdo
continue à annoncer l’Évangile. Excommuniés, lui et ses disciples sont
désormais considérés comme un mouvement hérétique. Malgré des épreuves, le
mouvement perdure jusqu'à la Réforme, notamment dans les vallées piémontaises.
Suite à l'adhésion à la Réforme en 1532, le besoin se fait sentir de pasteurs
mieux formés. L’Église vaudoise souffre alors d'une pénurie chronique de
pasteurs. La formation à Genève introduit une nouvelle approche du
ministère pastoral. Les vaudois traversent d'autres périodes de répression.
Face à la papauté et à l'Italie espagnole (sic), écrit l'historien Giorgio
TOURN, ils formeront la tête de pont de l'Europe protestante au Sud des
Alpes, le bastion le plus avancé sur le front de la Contre-Réforme... Le
temps du Risorgimento italiano au 19ème siècle inaugure une liberté
religieuse, qui n'est officialisée qu'en 1984.
L'Église
Vaudoise et Méthodiste compte environ 150 pasteurs dont une centaine en
activité. La région historique de leur implantation, les vallées vaudoises dans
le Piémont, abrite une forte concentration de pasteurs. Ceux des autres régions
vivent à différents degrés une réalité de diaspora. Tous les pasteurs inscrits
composent le Corps pastoral, instance officielle de l’Église. Il lui revient
d'examiner les candidatures au ministère pastoral et d'approuver leur
inscription au rôle. Il donne son avis au synode dans les domaines théologique
et éthique. Le Corps pastoral se réunit avant le synode national. Il existe
également des pastorales régionales et locales. Le pasteur occupe un poste pour
une période de sept ans, renouvelable une fois. La rémunération des pasteurs ne
suffit pas pour subvenir aux besoins de leur famille. C'est pourquoi leurs
épouses ont un emploi pour compléter le revenu familial. Ceci complique les
mutations. Quand un pasteur est appelé à un poste dans une autre région, le
problème de l'emploi de l'épouse représente un défi considérable. Lors de mon premier
voyage d'études en 2003, les mutations préoccupaient les responsables de
l’Église. A présent, c'est l'immigration qui les inquiète le plus. Les vaudois
sont habités du souci des pauvres. L'immigration massive d'Africains
subsahariens sur le sol italien concerne les pasteurs des grandes villes, comme
à Gênes. L'actuelle perméabilité urbaine et cosmopolite contraste avec
l'isolement subi dans des vallées rurales du Piémont. Le ministère du pasteur
vaudois ne se limite plus à une Église enclavée. Poussé par de nouveaux défis,
il opère davantage dans le monde qui frappe à sa porte.
Les huguenots
Quittant l'Italie,
nous retraversons les Alpes. Dans la France des années 1520, les écrits de
Luther propagent la Réforme. Puis Jean Calvin construit le Mouvement à la façon
réformée, et l'organisation presbytérienne-synodale est établie en 1559. Le roi Henri IV instaure la paix après
les guerres de religion. Mais les droits des protestants sont progressivement
réduits pendant le 17ème siècle. De nombreux huguenots quittent le pays et le
Roi Soleil révoque leurs droits. Ceux qui sont restés au pays traversent diverses
formes de persécutions auxquelles le Concordat met définitivement fin. Les
réformés s'organisent au 19ème siècle. Ils vivent alors un mouvement ascendant.
Mais les conflits mondiaux du 20ème siècle sapent les effectifs. L’œcuménisme
redéfinit leur identité. Ils sont bousculés par la décolonisation et la
révolution culturelle des années soixante. La désaffectation générale de la
pratique religieuse entamée dans les années 50 se poursuit inéluctablement. Les
pasteurs assistent à une recomposition du monde réformé.
Justement,
rappelons comment fut composé le modèle réformé du ministère pastoral. Depuis
la Réforme, les luthériens et réformés accordent un statut de docteur à leurs
pasteurs. Ils doivent se préparer au ministère par des études universitaires.
Les facultés et académies de Genève, Lausanne, Montauban, Sedan, Saumur, Paris,
Montpellier et Strasbourg assurent des
formations selon les normes classiques de l'enseignement supérieur. Pendant les
temps de persécutions, les Facultés protestantes sont interdites. Ces
douloureuses circonstances provoquent d'inévitables exceptions à la règle.
Celles-ci ne sont pas concluantes pour la durée, malgré le courage et le
dévouement des prédicateurs qui font admirablement face à des situations périlleuses.
L'exigence
de la formation supérieure est réitérée dès que la situation politique la
permet. Les pasteurs en tant que docteurs prêchent alors selon les écoles de
pensée orthodoxe ou libérale. Leurs collègues de sensibilité piétiste touchés
par le Réveil développent l'image du berger de troupeau. Les révolutions
industrielles du 19ème siècle génèrent la figure du pasteur social. Les guerres
mondiales déciment le corps pastoral, mais aussi, elles sortent les pasteurs du
cocon ecclésial. Les événements des années 60 affectent profondément les jeunes
pasteurs et ne laissent pas indemnes leurs aînés. La révolution des
technologies médiatiques et la révolution numérique font éclater les réseaux
confessionnels qui se perméabilisent. Elles accélèrent le processus de la
sécularisation de la société française. Phénomène nouveau, le ministère
pastoral s'ouvre aux femmes.
Á présent,
la France compte environ 770 pasteurs luthériens et réformés. Pour leurs
concitoyens, ils symboliseraient le protestantisme. En tout cas, ils font tous partie de la communauté
virtuelle post-moderne d'internet. Le réseau pastoral lui-même est plus
cosmopolite qu'avant. Et dans les campagnes où perduraient encore des
« poches » protestantes, comme dans les Cévennes, l'Alsace rurale et
le Poitou, les communautés paroissiales du pasteur luthéro-réformé vieillissent
doucement...
Les protestants d'Espagne
Traversons
maintenant les Pyrénées. En Espagne, l'implantation du protestantisme ne peut
commencer qu'au milieu du 19ème siècle. L'Inquisition et l'hostilité de
l’Église catholique tridentine avaient réussi à le tenir à l'écart jusqu'alors.
L'émergence du protestantisme réformé coïncide avec celle des Églises
évangéliques congrégationalistes. L'approche théologique et morale des
évangéliques est plus ou moins fondamentaliste. Dans ce contexte, les réformés
se distinguent doublement. Ils sont protestants dans une société imprégnée du
catholicisme. Et historiques au sein d'un protestantisme revivaliste.
Par ailleurs, de ce milieu vient une partie des pasteurs et des membres des
deux Églises historiques, l'Église Évangélique Espagnole (IEE), de régime
presbytérien-synodal, et l'Église Espagnole Réformée Épiscopalienne (IERA)
membre de la Communion anglicane. Elles gèrent conjointement le séminaire
théologique, installé à El Escorial. Le protestantisme a été interdit en
Espagne pendant plus de trois siècles. Après son implantation tardive, il a
traversé des temps difficiles, dont la dictature franquiste. Depuis une
quarantaine d'années, il jouit de la pleine liberté du culte, mais il se trouve
désormais confronté à l'immense défi de la sécularisation.
L’Église
Évangélique Espagnole compte environ 40 lieux de culte et 20 pasteurs. La
vingtaine de paroisses de l’Église Espagnole Réformée Épiscopale sont
desservies par autant de pasteurs. Les pasteurs espagnols sont épaulés par des
missionnaires anglais, allemand, chilien, équatorien, états-unien... Les
problèmes pratiques et sentimentaux inhérents aux mutations mènent les pasteurs
autochtones à rester longtemps à leur poste. Cela contraste avec la mobilité
des pasteurs étrangers. Avec une
cinquantaine de familles en moyenne et peu de cotisants réguliers, les
paroisses ne peuvent pas rémunérer les pasteurs à plein temps. Puisqu'elles
doivent verser les retraites aux anciens pasteurs, les Églises n'ont pas, ou
très peu de fonds à investir dans de nouvelles vocations. C'est pourquoi la
plupart des pasteurs en activité sont salariés par ailleurs, soit par une
fonction administrative dans leur Église, soit par un emploi à côté. Les
attentes des paroissiens sont encore conditionnées par la culture catholique
ambiante. On perçoit le pasteur, à l'instar du prêtre, comme un clerc distinct
du peuple. La forte sécularisation de la société espagnole post-franquiste a
pourtant changé la donne. La vieille génération de pasteurs forgée par la
résistance à l'hostilité de l'ancien régime a maintenant disparu. La génération
actuelle de pasteurs est hétéroclite à cause de la dispersion géographique, des
parcours différents et de la mentalité individualiste. Ils fonctionnent de
façon éparpillée et solitaire. Vu les circonstances, c'est compréhensible.
Les Églises œcuméniques
portugaises
Nous
poursuivons notre tour d'horizon jusqu'au bout du Continent. Au Portugal, le
protestantisme a été introduit au milieu du 19ème siècle. Un missionnaire
écossais s'installe dans les années 1840 sur l'île de Madère. De son action
naît l’Église presbytérienne qui s'implante par la suite dans le Portugal
continental. Le méthodisme naît parmi les viticulteurs et commerçants anglais
installés dans la Vallée du Douro. La seule Église protestante historique
d'origine autochtone a été créée pendant les années 1880 par un groupe de
prêtres catholiques qui étaient en désaccord avec Vatican-I. L’Église
lusitanienne est de régime épiscopalien. Elle est accueillie dans les années
1980 au sein de la communion anglicane. L'émergence des ces trois Églises
coïncide avec l'arrivée des d'évangéliques congrégationalistes au Portugal.
Leur croissance dépasse rapidement celle des historiques. Les dernières
composent désormais une minorité au sein du protestantisme, lui-même
minoritaire au Portugal. Les seules prêtes à dialoguer avec l’Église
catholique, ces trois Églises sont qualifiées d'« œcuméniques ».
Ensemble, elles totalisent une cinquantaine de paroisses réparties sur le
territoire continental et les îles (Madère, Açores). Les presbytériens et les
méthodistes se sont fédérés. L’Église lusitanienne occupe une position entre
protestantisme et anglo-catholicisme à la façon portugaise.
L’Église
presbytérienne compte une dizaine de pasteurs, les méthodistes autant, plus
quelques diacres. Ils sont mutuellement reconnus et interchangeables. Une quinzaine de pasteurs
et diacres desservent l’Église lusitanienne. Les trois Églises totalisaient six
femmes pasteurs. Leur présence est bien vécue par elles-mêmes et par leurs
paroissiens. La proportion de pasteurs d'origine étrangère est d'environ 4 sur
10. Quelques pasteurs exercent dans des paroisses ethniques, angolaise par
exemple. Les quelque 35 pasteurs desservent une cinquantaine de paroisses au
Portugal et sur les îles. Un tiers exerce à plein temps, les autres ont un
emploi à côté pour compléter leur revenu. Les Églises reçoivent de l'aide de
l'extérieur, mais elles ne peuvent pas rémunérer leurs pasteurs de façon
suffisante. Les presbytériens et méthodistes suivent leurs études à l'étranger
et les lusitaniens dans une Université catholique. Installés en paroisse, ils
restent longtemps sur leur poste, pendant des dizaines d'années. En effet, les
mutations sont difficiles à cause des contraintes géographiques et sociales. Le
statut du pasteur dans la paroisse est relativement clérical sous l'influence
du catholicisme conservateur ambiant. Mais les pasteurs ne se sentent pas pour
autant respectés dans la société. Ils fonctionnent de façon congrégationaliste
à cause de leur isolement géographique et de la diversité des sensibilités.
Mais leur esprit communautaire est
éveillé par la solitude et les impératifs économiques. La solidarité opère
entre les collègues portugais, mais les circonstances limitent leurs
possibilités.
Quelques spécificités communes,
distinctes et complémentaires.
Ces Églises
ont en commun leur situation minoritaire dans des sociétés profondément
imprégnées de catholicisme tridentin. Elles ont en commun aussi leur façon classique
d'être chrétien. Ce style propre à la Réforme du 16ème siècle participe de
l'élan de la Renaissance et de l'avènement de l'ère moderne. Il se distingue
des fastes baroques et des drames sentimentaux romantiques. En y adhérant en
1532, les vaudois s'émancipent de leur réclusion médiévale. Les protestants
ibériques s'y reconnaissent dès leur origine au milieu du 19ème siècle.
Partageant
ce patrimoine spécifique commun, les vaudois, huguenots et protestants
ibériques font aujourd'hui face, chacun de leur côté, aux mêmes défis.
Précisons
encore davantage les éléments du patrimoine commun. Par exemple, l'essence
théologique et culturelle de ce patrimoine historique est comme l'acide
désoxyribonucléique, ou l'ADN des huguenots. Cet ADN a été transfusé
aux vaudois et transmis aux protestants ibériques. Mais ces trois
entités se distinguent par les époques de leurs origines respectives. Époques
distancées dans l'histoire. Il suffit de les évoquer pour s'en rendre
compte : l'ère médiévale pour les vaudois, l'ère moderne pour les
huguenots, l'ère romantique pour les ibériques. Les caractéristiques
contextuelles distinctes de leurs origines les ont formatés chacun
différemment. Par leurs gènes, les uns sont probablement mieux équipés
que les autres pour relever certains défis actuels.
De
l'isolement à l’accueil
Les
protestants historiques des pays de l'Europe latine partagent un patrimoine
spirituel, social et culturel qui est marqué par l'isolement. Les vaudois
furent confinés aux vallées piémontaises pendant des siècles dans une situation
de ghetto. Les huguenots ont dû se replier dans les reliefs cévenols et dans
les forêts pour les assemblées du désert. Et les protestants ibériques ont été
tenus dans l'isolement pendant toute leur histoire par leur situation
minoritaire et géographique.
Par leurs
expériences d'isolement, ils ont appris la valeur éthique des efforts en faveur
de l'intégration d'expatriés. Désormais sortis eux-mêmes de leur isolement, ils
sont sensibles au problème de l'immigration massive en provenance des pays du
Sud. Des immigrants frappent à leurs portes. Par leur situation géographique au
seuil de l'Afrique, les vaudois se trouvent en première ligne. Leurs façons à
eux de témoigner et d'agir dans le monde peuvent éclairer le chemin des autres.
Comme les français, qui ont du mal à intégrer les immigrés nord-africains et
subsahariens. De leur côté, les portugais sont confrontés à l'immigration en
provenance des pays lusophones. Et les espagnols se trouvent également de
plus en plus concernés par l'immigration.
De
l'éclatement à la composition du neuf
Les
protestants historiques de ces pays partagent aussi un patrimoine d'éclatement.
Ce thème a été étudié récemment en France. Le déclin sociologique des
protestantismes historiques et la croissance dynamique des évangéliques et
pentecôtistes ont faire voler en éclats l'ordre ancien avec ses rapports de
force. Les historiques ne composent plus la majorité parmi les protestants
français engagés. Toutes proportions gardées, les rapports de force se
rapprochent lentement de celles des italiens et ibériques.
Mais
l'éclatement du protestantisme historique n'annonce pas pour autant sa
disparition. Au contraire, ce peut être une opportunité pour lui de composer du
classique nouveau pour le 21ème siècle. Le dynamique du semper
reformanda possède des potentialités créatrices. Les huguenots
post-modernes sont appelés à résister comme leurs ancêtres, mais à de
nouveaux défis. Quant à la sécularisation, ne serait-elle pas la nouvelle
religion dominante ? Elle prône un individualisme romantique et ne se
montre pas très attirée par la foi pensée. Y résistant, comme toujours, par
leur façon classique d'être
chrétien, les huguenots pourraient aider leurs coreligionnaires ibériques à
tenir tête eux aussi au dynamisme romantique des évangéliques et
pentecôtistes.
De
l'oppression à la libération
Leur patrimoine
collectif est marqué également par l'oppression. Par exemple, dans l'Espagne
catholique tridentine, les protestants historiques n'eurent pas droit de cité
pendant trois siècles. La fameuse Inquisition tuait tout embryon dans l’œuf. Le
régime franquiste ne leur fut pas favorable. Les portugais ont subi un sort
semblable, comme les vaudois et les huguenots à certaines époques de leur
histoire.
L'oppression
religieuse a été remplacée par la sécularisation. En Espagne, les années
obscures de l'Inquisition et de la dictature sont passées. La sécularisation
dresse de nouveaux obstacles. Mais elle offre aussi des opportunités. La
liberté de ne pas croire selon la tradition dominante est une opportunité
inédite pour les protestants historiques. Leur situation particulière peut être
un laboratoire de recherches d'une spiritualité de raison. Si cette hypothèse
se vérifie, ils vivront à nouveau avec les vaudois, huguenots et lusophones la
réalité du post tenebras lux.
De
la marginalisation à l'ouverture au monde
Et le
patrimoine commun des protestants historiques est aussi marqué par la
marginalisation. Par exemple, la marginalité des portugais par leur statut de
minorité a été augmentée par la localisation géographique de leur pays à la
limite extrême du Continent. Et les espagnols se trouvent marginalisés dans
l'ensemble hétéroclite des confessions et religions non-catholiques. Les
vaudois furent marginalisés pendant des siècles dans leur ghetto piémontais. De
même, les huguenots ont été forcés de tenir leurs assemblées loin de la cité -
ou de prendre le chemin de l'exil.
Aujourd'hui,
le développement des technologies de communication déplace les limites de
l'isolement et transforme la vie sociale. Par exemple, aux protestants
historiques portugais se rouvrent désormais des horizons inattendus au monde, à
l'instar du temps des Grandes découvertes. En un sens situés au cœur de
l'Atlantique, ils se trouvent à un carrefour, où se croisent les dynamismes
culturels et spirituels africains, sud-américains et européens. Les ouvertures
obtenues pendant les Grandes explorations par ce pays qui était cependant
tellement isolé dans un coin reculé du Continent sont un paradoxe qui peut être
appelé à devenir un précédent...
Conclusion
Avant de
conclure, retraçons en quelques lignes le chemin parcouru. C'est un parcours
d'ordre chronologique. Les aînés, les vaudois se sont joints au Mouvement de la
Réforme après plus de trois siècles et demi d'existence. Les huguenots se
situent au cœur de cette chronologie. Quant aux protestants historiques
espagnols et portugais, ils sont nés avec leurs frères jumeaux
évangéliques. Ils ont pourtant opté pour le mode historique plus de
trois siècles et demi après la Réforme. De ce tableau se dégage une symétrie
chronologique qui s'étend sur sept siècles. Malgré cette immense étendue
temporelle, ils partagent les mêmes valeurs des sola scriptura, sola fide,
sola gratia, soli Deo gloria. Et leurs structures ecclésiales sont chacune
de régime synodale-presbytérienne - à l'exception relative des anglicans.
Quel est
finalement leur plus petit commun dénominateur, unifiant les vaudois, les
huguenots et les protestants historiques ibériques ? Nous suggérons qu'il est
dans leur manière de penser la foi, de réfléchir sur le monde et de se situer
dans une lignée théologique et sociale de nature rationnelle classique.
Chemin
faisant, nous avons repéré quelques difficultés qui ont contribué à forger leur
style historique. L'isolement, l'éclatement, l'oppression et la marginalisation
ne sont pas les seules difficultés qu'ils ont éprouvées. Mais elles ont dans
tous les cas contribué à renforcer leur attachement à la foi pensée, à la
réflexion critique, à la piété de type classique. Ces difficultés ont
été interprétées ici comme formatrices d'aptitudes permettant de faire face aux
défis de la post-modernité. Nous avons suggéré que l'isolement peut s'avérer
une formation à l’accueil des expatriés ; l'éclatement à l'invention de
formes nouvelles adaptées au 21ème siècle ; l'oppression au bon usage des
libertés laïques ; la marginalisation aux ouvertures planétaires.
En somme,
nous plaidons pour l'actualisation positive du patrimoine partagé. Des épreuves
subies dans le passé ont forgé des aptitudes constructives qui ont été
transmises. Mis au service de l'Évangile par un engagement concret dans monde,
le témoignage spécifique des protestants historiques se renouvellera
naturellement, semper reformanda, et il perdurera...
Evert
Veldhuizen
mars
2015
La version intégrale de ce texte (comportant les nombreuses notes en bas de page) sera publiée ultérieurement sous PDF dans le site de l'APF.
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